Alem Surre Garcia, écrivain, poète, dramaturge, librettiste, essayiste et conférencier, nous propose une magnifique traduction en français du Libre de Catòia (traduction réalisée avec la collaboration de Françoise Meyruels et de Martine Boulanger).
Loin de chez lui et des années plus tard, Catoïa raconte son enfance dans l’une des dernières familles d’Enfarinés du Rouergue, ces catholiques qui ont refusé le Concordat de 1801 et qui vivaient isolés au milieu des autres, dans un attachement profond aux pratiques ancestrales.
1. Catoïa
Oui, je suis Catoïa. Catoïa l’Enfariné.
Je n’ai jamais été comme les autres. Jamais. Parce que je suis Catoïa. Et parce que je suis Enfariné.
À Saint-Geniez, personne ne sait que je suis Catoïa. Personne ne sait que je suis Enfariné. Mais moi, je le sais.
Moi, Amans, Baptista, Blasi Codomièr.
À Saint-Geniez, on m’appelle Codomièr. Mais surtout Amans. Ça me plaît, Amans. Saint Amans, premier évêque de Rodez…
Dans mon pays, ma mère m’appelait Manson. Je ne me connaissais pas d’autre nom : Manson.
Mais quand vint le temps d’aller à l’école… Ma mère aurait voulu me mettre à l’école pour Pâques, mais le maître ne voulut pas de moi. Il fallut attendre le mois d’octobre : un temps d’automne, un jour de vent d’autan et de châtaignes.
Personne ne connaît le vent d’autan, à Saint-Geniez. Dans mon pays, le Ségala…
Ma mère me revêtit de ma petite blouse noire toute neuve, mit trois échaudés dans un petit sac et me prit par la main.
Dans la cour de l’école, les autres enfants cessèrent leurs jeux dès qu’ils nous aperçurent. Ils nous regardaient. Moi, je serrais la main de ma mère.
Nous allâmes trouver le maître à son bureau pour qu’il inscrive mon nom sur je ne sais quel registre.
Mon nom… ah ! mon nom…
Ma mère m’abandonna dans la cour sans oser m’embrasser. Les autres nous regardaient. Je me serrais contre le mur, le petit sac d’échaudés sous le bras. Ma mère était partie.
– Catoïa… Catoïa le petit… Catoïa…
Qui cria le premier ? Tous les enfants se pressaient autour de moi en me montrant du doigt :
– Catoïa…
Je ne comprenais pas encore qui était Catoïa. Avec mon petit doigt, je les montrai à mon tour et je criai comme eux :
– Catoïa…
Ils se mirent tous à m’applaudir, à sauter comme des fous, et, se rapprochant encore de moi :
– Catoïa… Catoïa… le petit Catoïa…
Ils m’enlevèrent le béret, qu’ils jetèrent au loin. Ils m’arra¬chèrent le sac d’échaudés et le firent sauter à coups de pied…
C’est alors que je compris. Catoïa, c’était moi. Mais pourquoi ? Je me tournai contre le mur et je pleurai.
Le maître vint bien me consoler, mais que pouvait-il faire ? J’étais Catoïa…
[...]
Oui, je suis Catoïa. Catoïa l’Enfariné.
Je n’ai jamais été comme les autres. Jamais. Parce que je suis Catoïa. Et parce que je suis Enfariné.
À Saint-Geniez, personne ne sait que je suis Catoïa. Personne ne sait que je suis Enfariné. Mais moi, je le sais.
Moi, Amans, Baptista, Blasi Codomièr.
À Saint-Geniez, on m’appelle Codomièr. Mais surtout Amans. Ça me plaît, Amans. Saint Amans, premier évêque de Rodez…
Dans mon pays, ma mère m’appelait Manson. Je ne me connaissais pas d’autre nom : Manson.
Mais quand vint le temps d’aller à l’école… Ma mère aurait voulu me mettre à l’école pour Pâques, mais le maître ne voulut pas de moi. Il fallut attendre le mois d’octobre : un temps d’automne, un jour de vent d’autan et de châtaignes.
Personne ne connaît le vent d’autan, à Saint-Geniez. Dans mon pays, le Ségala…
Ma mère me revêtit de ma petite blouse noire toute neuve, mit trois échaudés dans un petit sac et me prit par la main.
Dans la cour de l’école, les autres enfants cessèrent leurs jeux dès qu’ils nous aperçurent. Ils nous regardaient. Moi, je serrais la main de ma mère.
Nous allâmes trouver le maître à son bureau pour qu’il inscrive mon nom sur je ne sais quel registre.
Mon nom… ah ! mon nom…
Ma mère m’abandonna dans la cour sans oser m’embrasser. Les autres nous regardaient. Je me serrais contre le mur, le petit sac d’échaudés sous le bras. Ma mère était partie.
– Catoïa… Catoïa le petit… Catoïa…
Qui cria le premier ? Tous les enfants se pressaient autour de moi en me montrant du doigt :
– Catoïa…
Je ne comprenais pas encore qui était Catoïa. Avec mon petit doigt, je les montrai à mon tour et je criai comme eux :
– Catoïa…
Ils se mirent tous à m’applaudir, à sauter comme des fous, et, se rapprochant encore de moi :
– Catoïa… Catoïa… le petit Catoïa…
Ils m’enlevèrent le béret, qu’ils jetèrent au loin. Ils m’arra¬chèrent le sac d’échaudés et le firent sauter à coups de pied…
C’est alors que je compris. Catoïa, c’était moi. Mais pourquoi ? Je me tournai contre le mur et je pleurai.
Le maître vint bien me consoler, mais que pouvait-il faire ? J’étais Catoïa…
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